Interview B.O : Éric Toledano & Olivier Nakache, le sens de la musique

Music & Cinéma Marseille

,@, - Interview B.O : Éric Toledano & Olivier Nakache, le sens de la musique

Propos recueillis par Benoit Basirico,
dans le cadre du Festival Music & Cinéma de Marseille
Photos : ©Oliver Alaluukas ©Leïla Macaire

- Publié le 12-04-2024




Le duo de réalisateurs Éric Toledano & Olivier Nakache, à la direction de comédies à succès telles que "Intouchables" et "Hors Normes", sont venus début avril 2024 au Festival Music & Cinéma de Marseille pour une rencontre après la projection du film “Le Sens de la fête” dont la musique est signée par le contrebassiste de jazz Avishai Cohen. Benoit Basirico (Cinezik) a pu animer cet échange, voici un petit montage de leur propos à travers lesquels on comprend leur rapport à la musique. Ils nous divulguent même leurs goûts en la matière.

Benoit Basirico : À quel moment la musique intervient-elle dans votre processus ? Pensez-vous à elle dès l'écriture de votre scénario ?

Olivier Nakache : La musique occupe une place essentielle dans notre démarche créative. Elle est présente à chaque étape, y compris durant l'écriture. Nous écrivons toujours en écoutant de la musique. Aujourd'hui même, en train, nous portions nos casques, plongés dans la musique qui inspire des scènes et des émotions. Nous cherchons constamment la mélodie la plus adéquate pour le film. C'est pourquoi nous préférons collaborer avec des musiciens plutôt qu'avec des compositeurs de bandes originales. Nous écoutons leur oeuvre et, si elle nous paraît en harmonie avec notre scénario, nous tentons de l'intégrer pleinement au projet, jusqu'à la post-production, à l'instar de notre collaboration avec Avishai Cohen pour "Le Sens de la fête".

Benoit Basirico : La comédie repose souvent sur le rythme, et la musique joue un rôle clé dans le rythme de vos films. Comment procédez-vous ? Montez-vous vos films en fonction de la musique ? La musique influence-t-elle le rythme de vos séquences ?

Éric Toledano : Pour "Le Sens de la fête", il y a eu une véritable symbiose, car nous avions besoin d'un rythme soutenu pour cette soirée de mariage, souhaitant une accélération, une certaine folie. L'idée nous est venue d'un personnage s'envolant littéralement, accompagné par le jazz d'Avishai Cohen et son trio. Ce choix était dicté par l'alliance de sonorités traditionnellement étrangères au jazz, comme la darbouka ou le oud, avec des instruments jazz. C'est cette fusion qui a façonné le film. Nous avons aussi mélangé des acteurs de différents horizons cinématographiques. C'est la même chose pour un ensemble de jazz où chaque musicien apporte sa touche unique, parfois même à travers l'improvisation. "Le Sens de la fête" est le fruit de cette rencontre entre le jazz et notre récit.

Benoit Basirico : Vous avez puisé dans le répertoire de Avishai Cohen, et celui-ci a aussi contribué en composant spécifiquement pour le film. Comment cela s'est-il déroulé ? Il est contrebassiste et sa musique est très rythmée, même percussive ?

Olivier Nakache : Effectivement, Avishai Cohen est reconnu pour ses compositions aux rythmes complexes. Par exemple, "Eleven Wives", le morceau joué à la fin du mariage, se base sur un rythme à onze temps, ce qui est particulièrement difficile à exécuter. Notre démarche habituelle consiste à écrire en s'imprégnant de la musique d'Avishai Cohen. Puis, avant le tournage, nous organisons une rencontre avec lui pour discuter de nos intentions. Nous lui expliquons notre désir d'intégrer sa musique au montage, avant de procéder à un nouvel enregistrement pour trouver le juste équilibre entre sa vision et la nôtre. Cette collaboration culmine lors du montage où nous réenregistrons avec lui. Ces moments sont toujours empreints de magie. Pour le film, il a ainsi créé de nombreux interludes musicaux.

Éric Toledano : Il arrive que nous ajustions le montage en fonction de sa musique. Par exemple, dans une scène où le marié s'exerce à "voler", guidés par le morceau "Nu nu", nous avons modifié les plans pour rester en phase avec la musique, en particulier les instants rythmiques.

Olivier Nakache : La contrebasse d'Avishai Cohen nous semblait parfaitement correspondre à l'ambiance de la soirée et au personnage joué par Jean-Pierre Bacri, avec ce son profond et intense. Nous avons ainsi construit cette partie en gardant à l'esprit ce rythme particulier.

Benoit Basirico : La musique intègre-t-elle une part d'improvisation ?

Éric Toledano : Il n'y a pas d'improvisation à proprement parler. Nous aurions aimé adopter une approche similaire à celle de "Ascenseur pour l'échafaud" de Miles Davis, mais notre processus est en réalité très élaboré. Contrairement à ce film, nous devons respecter une certaine promesse envers le public : celle de déclencher des rires à intervalles réguliers. Cela nous amène à organiser des projections tests et à discuter intensément lorsque certaines plaisanteries ne fonctionnent pas, car l'humour est subjectif. Nous évitons les longs moments sans rire, ce qui peut nous conduire à supprimer certaines scènes. Ainsi, la comédie, avec son rythme précisément calculé pour provoquer le rire, ne se prête guère à l'improvisation. Dès l'écriture, nous nous interrogeons sur le potentiel comique de chaque scène.

Benoit Basirico : Quels sont vos goûts en matière de musique de film ? Vous faites appel à des artistes connus pour leurs performances scéniques et leurs albums, mais avez-vous des compositeurs de film qui vous inspirent ?

Olivier Nakache : Absolument, Philippe Sarde est une référence majeure pour nous, notamment avec ses compositions pour "Les Choses de la vie" ou d'autres films de Claude Sautet. Pour nous, un grand film est indissociable d'une grande musique de film, d'un thème marquant. Gabriel Yared, avec son travail sur "37°2 le matin", a laissé une empreinte indélébile. Il existe de nombreux compositeurs talentueux, comme John Williams aux États-Unis ou Bill Conti pour "Rocky", qui ont contribué à des oeuvres mémorables.

Éric Toledano : Il a tout à fait raison. Chaque film mémorable est lié à une musique spécifique. Si je vous demande votre film préféré, il y aura forcément une bande sonore qui l'accompagne. Cette alchimie entre l'image et la musique est ce qui rend une oeuvre puissante.

Olivier Nakache : En France, Vladimir Cosma a marqué notre imaginaire avec ses compositions pour "La Boum" et les films de Louis de Funès. Toutefois, nos premières expériences avec des compositeurs de musique de film, durant nos courts métrages, étaient mitigées, souvent marquées par des motifs répétitifs. Cela nous a encouragés à explorer d'autres voies, à collaborer directement avec des artistes pour qu'ils nous rejoignent dans une démarche créative partagée. Cette approche a porté ses fruits lors de notre collaboration avec Ludovico Einaudi pour "Intouchables". La première personne à voir le film fut Einaudi lui-même, dans un appartement à Milan. Comme Il ne parlait pas français, on lui traduisait les dialogues avec notre anglais assez approximatif, donc on ne savait pas du tout S'il comprenait le film ou pas. Malgré la barrière de la langue, la musique "Fly" qu'il a composée pour le film est devenue emblématique, reconnaissable dès les premières notes. Ces collaborations improbables, souvent initialement déclinées par les musiciens, nous motivent davantage à les convaincre de collaborer avec nous.

Éric Toledano : Le challenge réside dans le fait de monter un film avec des musiques temporaires, puis de confier la création de la musique à un compositeur, ce qui peut être une étape douloureuse. Nous privilégions les musiques qui passent le temps, qui même après trois ans continuent de nous émouvoir, signe qu'elles ont une place durable dans notre travail.

Olivier Nakache : Mais on a un très beau contre-exemple avec la série "En Thérapie", pour laquelle Yüksek a composé un thème magnifique, à l'écoute duquel on ne se lasse pas. Nous lui avons expliqué notre vision, souhaitant une musique qui reflète l'impact profond d'une thérapie. Le thème s'intègre parfaitement à chaque épisode, se déclinant de manière variée à travers les différents personnages sans jamais perdre de sa force. Cela prouve qu'une collaboration fructueuse de ce type est toujours possible.

Benoit Basirico : Les superviseurs musicaux jouent un rôle crucial pour négocier les droits de morceaux préexistants. Par exemple, pour "Intouchables", vous aviez envisagé d'utiliser le titre d'Earth, Wind & Fire dès la rédaction du scénario. Il devait être important de s'assurer des autorisations dès cette étape ?

Olivier Nakache : Concernant Earth, Wind & Fire, j'ai une anecdote intéressante. Lorsque nous avons présenté les morceaux à Omar Sy, il a avoué ne pas bien connaître, ce n'était pas de sa génération. Pour ma part, ayant environ cinquante ans, le funk, notamment Earth, Wind & Fire et Kool and the Gang, a bercé mon adolescence. Avec Olivier, nous avons choisi "Boogie Wonderland" de Earth, Wind & Fire. On a décidé d'aller à un concert du groupe à Paris, au Zénith, et il y avait marqué "Nostalgie présente, Earth, Wind & Fire". Là vous commencez à avoir un petit doute sur la modernité du morceau. Mais en même temps le funk pour nous c'est intemporel, donc on continue à être heureux avec cette idée. Le film sort, finalement la musique fonctionne plutôt bien, et l'année d'après Earth, Wind & Fire revient à Paris et il y avait marqué "La musique du film Intouchables". Donc on était contents, mais on ne sait jamais à l'avance ce qui va fonctionner. En tout cas, négocier les droits est complexe, chaque cas est un défi. Pour "Une année difficile", inclure une musique de Jimi Hendrix ou des Doors a exigé de retrouver tous les ayants droit. Elise Luguern, notre superviseuse musicale exceptionnelle, joue un rôle indispensable dans ces négociations. Un conseil pour les cinéastes : éviter les Beatles et Led Zeppelin, les droits sont exorbitants.

Benoit Basirico : Votre cinéma est empreint de scènes musicales, comme la danse d'Omar Sy ou le chant de Gilles Lellouche. Seriez-vous intéressés par une véritable comédie musicale ?

Olivier Nakache : Nous ne sommes pas attirés par la comédie musicale au sens traditionnel, mais par un film où la musique jouerait un rôle central et guiderait le récit. Notre nouveau projet s'inscrit dans cette veine, sans être pour autant "Mamma Mia". Nous espérons provoquer chez le spectateur l'envie de danser. La musique, lorsqu'elle est en harmonie avec l'image, procure un plaisir immense. Si "La La Land" a su nous séduire en tant que comédie musicale moderne, notre approche tend vers des films où la musique enrichit significativement l'expérience sans pour autant s'inscrire dans le genre musical strict.

Éric Toledano : Un film qui illustre parfaitement cette aspiration est "Whiplash", du même réalisateur que "La La Land", Damien Chazelle. C'est un coup de poing. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une comédie musicale, la musique y joue un rôle prépondérant. C'est un des films qui a le mieux matérialisé le rythme et la musique. Ce n'est pas un hasard qu'il soit aussi un batteur.

 

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